ENTRETIEN DU MOIS : SANDRINE CORMARY

Septembre 2025 | Ce mois-ci, nous avons pris un café avec Sandrine Cormary, fraîchement réélue pour un second mandat de trois ans à la présidence du Syndicat du Conseil en Relations Publics. L’occasion d’un échange sans détour sur la trajectoire du secteur, les défis du moment et les ambitions à venir.
- Raison d’être | Le SCRP a formulé cette année une raison d’être ambitieuse : “contribuer avec sincérité à la construction éclairée des opinions pour une société ouverte au dialogue”. Dans un environnement médiatique de plus en plus fragmenté, que change cette raison d’être, concrètement, pour les agences comme pour leurs clients ?
Dans un contexte de défiance généralisée envers les médias traditionnels comme envers les réseaux sociaux — jugés partisans, manipulateurs ou stériles —, les Français expriment une attente forte : sept sur dix souhaitent que les entreprises prennent davantage la parole dans le débat public, selon la dernière étude Odoxa/Comfluence dévoilée le 27 août. Autrement dit, la légitimité du secteur privé pour éclairer et nourrir la conversation collective progresse.
Pour les agences, la raison d’être du SCRP prend ici tout son sens : contribuer avec sincérité à la construction éclairée des opinions, en aidant les marques à s’exprimer de façon responsable et authentique. Dans un débat public perçu comme clivant et appauvri, notre rôle est de créer les conditions d’un dialogue utile, vivant et crédible — au bénéfice des entreprises, mais aussi de la société tout entière.
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- Situation économique | Dans un contexte économique tendu, quelle dynamique observez-vous sur le marché des relations publics ? Quels sont, selon vous, les enjeux critiques que les agences doivent collectivement affronter aujourd’hui ?
La conjoncture économique de la filière communication reste fragile en cette fin d’année. Les signaux que nous observons pointent vers un recul de l’indice de confiance : un marché moins dynamique, des budgets en diminution et une légère baisse du nombre de clients, qui se traduisent, pour les agences interrogées, par un chiffre d’affaires globalement stable — autrement dit, une stagnation plus qu’une croissance.
Par ailleurs, si l’intelligence artificielle est sur toutes les lèvres, la réalité des investissements demeure modeste : pour la majorité des agences, le budget consacré à l’IA représente aujourd’hui entre 0 et 5% de leur marge brute. Cela illustre à la fois une prise de conscience et le chemin encore à parcourir pour transformer cette innovation en véritable levier de compétitivité pour notre filière.
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- IA | Vous avez défendu à plusieurs reprises l’idée d’un “conseil augmenté”, alliant expertise humaine et technologies émergentes. Concrètement, comment l’intelligence artificielle et l’investissement dans les compétences transforment-ils — ou doivent-ils transformer — le métier de conseil en relations publics ?
L’IA est désormais incontournable dans la communication et le conseil en relations publics, en particulier sur les réseaux sociaux. Selon la dernière étude The State of AI in Social Media 2025, publiée par Metricool, qui dresse un état des lieux détaillé des usages actuels sur les plateformes sociales, 96% des professionnels l’utilisent, dont près des trois quarts chaque jour. Les agences affichent le taux d’usage le plus élevé (78% l’utilisent quotidiennement), suivies de près par les freelances (75%), les entrepreneurs (69%) et les équipes marketing (69%).
Ses usages se concentrent sur la création et la productivité — génération d’idées de posts, rédaction ou adaptation de contenus — faisant de l’IA un véritable coéquipier créatif. Certaines fonctions restent marginales, comme l’automatisation de tâches répétitives ou la réponse aux commentaires et messages, signe que l’IA n’est pas encore pleinement adoptée dans le secteur sur la dimension relationnelle.
Mais sa valeur repose sur la capacité des communicants à la piloter, à l’orienter, à contextualiser ses productions et à préserver l’authenticité de la communication. Les bad buzz récents l’ont montré, de Squeezie à Coca-Cola : une utilisation mal calibrée peut générer rejet et accusations de la part du grand public. L’enjeu n’est donc pas de remplacer, mais bien d’augmenter l’expertise humaine, en faisant de la maîtrise de l’IA une compétence centrale du métier.
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- RSE | En septembre, le syndicat lance une saison dédiée à la RSE, avec une politique sectorielle, des outils concrets pour les agences et des temps de travail collaboratifs. Dans un moment où certaines figures politiques, comme Donald Trump, remettent en cause les fondements mêmes des transitions écologique et sociale, pourquoi est-il essentiel que notre secteur s’empare de ces sujets ?
Face aux discours qui nient l’urgence écologique et sociale, notre secteur doit prendre ses responsabilités : les RP ne sont pas qu’un simple relais, ils constituent un levier d’action. Nous sommes au cœur de la fabrique de l’opinion et des récits collectifs : ce que nous choisissons de mettre en avant, d’expliquer et de rendre désirable influence durablement les comportements. C’est précisément pour cela qu’il est essentiel que les professionnels des relations publics s’emparent pleinement des enjeux de RSE. Non seulement parce que les entreprises, les marques et les institutions sont attendues au tournant de la transparence et de l’impact, mais aussi parce que nous avons le pouvoir — et donc le devoir — de lutter contre les discours de désinformation, de climatoscepticisme ou de repli.
La saison que nous lançons vise à outiller les agences, à mutualiser les bonnes pratiques et à développer une politique sectorielle ambitieuse. Elle est pensée comme un espace d’engagement et de responsabilité collective. Car si nous voulons rester légitimes et utiles à la société, nous devons démontrer que la communication peut être un accélérateur de transitions, et non un frein.
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- Ambitions | Enfin, quelle est votre ambition pour ce nouveau mandat ? Et qu’aimeriez-vous avoir accompli dans trois ans ?
Notre syndicat est à un tournant. Dans un contexte économique incertain, nous devons nous interroger sur la meilleure manière de renforcer notre influence et notre visibilité. Nous avons parfois souffert d’une image discrète et d’une capacité limitée à faire contrepoids.
L’une des pistes de réflexion que je souhaite ouvrir avec nos membres est celle d’un rapprochement avec une organisation patronale plus large, afin d’examiner ensemble comment gagner en puissance sans perdre notre spécificité.
D’ici trois ans, mon ambition est que nous ayons collectivement trouvé le modèle qui nous permette d’être reconnus comme une voix incontournable du secteur, capable à la fois de défendre nos métiers, d’éclairer les décideurs publics et de donner aux agences des repères solides dans un environnement en mutation. Dit autrement : être à la fois plus audibles, plus légitimes et plus utiles.